Lors de nos dernières semaines en  Nouvelle-Zélande, nous avons passé un peu plus d’une semaine dans la famille maorie d’Iritangi, à Te Araroa.

Invité chez elle dans le cadre d’un Wwoofing, ces jours passés à Te Araroa nous ont permis de rencontrer Lisa et Rob.

Après quelques péripéties de stop, nous avons atterri dans ce havre de paix, loin de tout, mais où tout le monde vit en famille : dans la rue d’Iri, notre hôte pour les semaines à venir, vit également sa soeur, une partie de ses enfants et leur conjoint.

C’est dans ce contexte que nous avons rencontré Rob, le fils d’Iri, et Lisa sa compagne. Ensemble, ils gèrent la seule auberge de Te Araroa, située à l’embranchement de la route vers Gisborne.  Un couple véritablement adorable qui nous a ouvert les portes de leur maison et de leur marae. Ils nous ont raconté l’histoire de leur tribu, qui n’est autre que la tribu  Ngati Porou (à prononcé [Nati Pro]) : nous avons, par hasard, rencontré des cousins éloignés de John qui nous avait hébergés dans les Coromandel !!

Le chin moko

Lisa n’était pas la première femme que l’on croisait avec le moko kauae (ou chin moko, le tatouage sur le menton et les lèvres), mais c’était la seule qu’on connaisse suffisamment pour aborder l’histoire de ce tatouage. En effet, bien qu’il soit très visible, le chin moko un tatouage très personnel et hautement symbolique.

Au cours d’une discussion, nous lui avons demandé si elle était d’accord de nous raconter son histoire et celle de son tatouage, qui sont intimement liées.

Le récit qui suit est une simple traduction de ses mots.

Rob et Lisa à Te Araroa

Une enfance au service de ses grands parents

Je suis née Maorie, je mourrai Maorie. Même si j’ai du sang irlandais et français. J’aimerai et adorerai toujours ma culture Maorie d’abord. Nous, peuple Maori, sommes nés à Aotearoa. Nous sommes Tangata Whanua, le Peuple de la Terre, un peuple tribal. Nous sommes connectés avec notre environnement naturel. Nous, sur la East Coast, sommes connectés à la terre, à la forêt et à l’océan, comme s’ils étaient notre famille. C’est ce que je suis.

Ko Lisa Maree Beach toku ingoa. Ko Hikurangi toku maunga. Ko Waiapu toku awa. Ko Ngati Uepohatu me Ngati Porou oku iwi.

Lisa Maree Beach est mon nom. Hikurangi est ma montagne. Waiapu est ma chaîne. Ngati Porou et Ngati Uepohatu mon peuple.

Hinerangi est le nom que ma mamie m’a donné à la naissance. La vierge du ciel.

Toute mon enfance, j’ai été entourée d’anciens. J’ai eu la chance de participer à de longs voyages dans les différentes tribus dispersées en Aotearoa. Je voyageais dans un van, accompagnée des anciens pour assister aux divers évènements dans les marae, comme les mariages, les anniversaires et même les funérailles.

Je restais assise dans le fond du van, écoutant mes kuia (mes grands-mères) et mes koroua (mes grands-pères) parler dans notre langue maternelle, Te Reo Maori. J’aimais ça. PAS d’ANGLAIS. Avoir été élevée avec eux m’a fait me sentir spéciale, m’a fait me sentir désirée. Ils m’ont fait sentir l’amour, pour eux, pour moi et mon peuple. J’aime être pleinement Maorie.

En ce temps-là, je devais avoir 8 ans, voyageant à travers Aotearoa avec de vieux Maoris dans les différents marae, j’ai réalisé que j’étais leur outil. Jeune et en forme. J’organisais leur couchage, je dépliais les couvertures et vidais les valises : tout devait être prêt pour qu’ils puissent aller se coucher.

Je me souviens d’être allée au marae de la Reine Maorie à Ngaruawahia, vers Tainui. C’était si spécial de la rencontrer alors qu’elle était jeune. Elle était une humble femme, peu bavarde et chaleureuse. Bref ! À notre arrivée, son majordome est venu nous voir et a demandé aux anciens s’ils voulaient qu’on leur installe leur lit. Une de mes grand-mères se tourna vers moi et lui dit que je leur montrerai comment faire. Comme vous pouvez l’imaginez, une jeune fille Maorie “ordonner” au majordome de la Reine et à ses suivants de décharger le van, de placer les matelas, de faire le lit de mes anciens, de placer leurs sacs et leurs affaires près d’eux et s’assurer que tout était bien installé a été une expérience particulière.

Je rapportais leur kete, préparais du thé, m’assurais qu’ils étaient au chaud, enlevais leurs manteaux et les débarrassais de leur parapluie. Je ressentais une obligation de prendre soin d’eux, peu importe que nous voyagions ou non. J’ai tant appris quand j’étais enfant, à propos des tikanga (les coutumes), kawa (prière qui fait partie du protocole de bienvenu dans un marae) et du protocole des marae.

Lisa devant le Marae famille maorie

Notre langue, Te Reo Maori était si belle à entendre quand ils conversaient entre eux ou quand ils se dressaient debout pour dire leur whaikorero (discours officiel). Ma tribu, les Ngati Porou, est spéciale. Nos femmes parlent pendant le Paepae (réunion des sages). Elles étaient de grandes oratrices. Nanny Whaia McClutchie était l’une des meilleures. Elle avait des paroles pleines de sagesse, à propos du développement personnel et de celui de l’iwi (la tribu). Elle provoquait toujours les gens, que ce soit des hommes ou des femmes ordinaires en passant par les responsables gouvernementaux, les conseils de district et les organismes gouvernementaux pour regarder plus en profondeur ce qui fonctionnait pour le peuple maori tout entier et ce qui ne fonctionnait pas.

Ces kuia et koroua avec qui j’ai été élevée, de mon enfance jusqu’à la fin de mon adolescence, vers 20 ans, ont eu un grand impact sur la manière dont je vis aujourd’hui. Typiquement, ils ont été et sont toujours mes modèles.

Mon statut d’enfant voyageant partout dans Aotearoa avec les anciens m’a fait tomber amoureuse de la culture maorie. Notre langue, nos coutumes et nos traditions comme le powhiri (cérémonie de bienvenue), le waiata (le chant), moteatea (chant de lamentation), les poi et haka (deux danses traditionnelles). J’aime nos sculptures qui racontent une histoire, notre art et nos designs. Ils ont tous impacté mon choix de vouloir porter le moko kauae. En disant cela, je savais depuis que j’étais enfant que j’en voulais un. Mon arrière arrière-arrière-grand mère portait le moko kauae, je trouvais que c’était le plus joli de la terre entière.

De l’envie à la réalisation du moko kauae

À l’école primaire, j’ai été choisie pour être Kaea, la leader féminine du groupe de kapa haka. Le professeur dessinait notre moko kauae avec un marqueur permanent. J’adorai ça. Je voulais le porter tous les jours et rentrer à la maison avec, je ne voulais pas le nettoyer.

En grandissant, j’ai pris la décision d’en avoir un permanent, pour la vie. J’ai eu mon premier fils à 19 ans. Il était la 5ème génération, comme mon arrière-arrière grand père Rawakata Te Kanapu Perenara était toujours en vie. Quand il a eu 7 mois, mon Koro Rawakata est venu chercher mon fils pour l’amener à lui, de Ngati Porou sur la East Coast jusqu’à Matata, dans la Bay Of Plenty. C’était pour que mon fils le rencontre.

Je savais au fond de moi que ce serait mon opportunité de demander à mon Koro la permission d’avoir mon vrai moko kauae. J’étais un peu effrayée au début, alors nous avons parlé d’éducation en ramassant de la nourriture. J’ai découvert mon whakapapa (l’arbre généalogique) et pourquoi ma Kuia a été fiancée à mon grand-père très jeune. On a parlé pendant deux heures, c’était un moment très spécial pour moi.

Lisa Te Araroa chin moko kauae

Je me suis tournée vers lui et j’ai demandé à mon Koro si je pouvais faire mon moko kauae. Il y a eu une pause, qui m’a semblé durer pour toujours. Il a pris ma main, la serra et me dit « Quand voudrais-tu le faire ? Oui, je te donne ma bénédiction et ma permission pour le faire ». J’étais sous le choc au début, mais quand j’ai compris que mon Koro me donnait sa bénédiction, j’ai juste pleuré et nous avons eu un hongi, un geste traditionnel de bienvenue et de liaison entre deux personnes qui partage le même souffle.

Il me donna sa bénédiction et je suis rentrée chez moi pour le faire. Nous avons joué notre karakia (rituel de chants sacrés) et notre waiata (psaumes). Cela a pris près de deux heures avec le pistolet à tatouer. Mon moko kauae représente mes montagnes, mes rivières, les océans d’où je viens, de Ngati Porou, ma tribu, mon whakapapa, la généalogie de mes ancêtres, mes tamariki, mes enfants et mes mokopuna, mes petits enfants. C’est un taonga vivant, un trésor. C’est mon héritage, mon histoire et ma fierté d’être Tangata Whenua, peuple de la terre et peuple indigène de Aotearoa, Nouvelle-Zélande.

  1. Quel article, c’est très émouvant ! Ce portrait de femme si attachée à sa culture, et le fait que vous la connaissiez assez pour pouvoir aborder la signification de ce tatouage. J’ai étudié la sociologie et l’anthropologie à l’université pendant 4 ans et je trouve vos articles très complets, poussés et approfondis. Un vrai projet de journalisme/anthropologie en même temps qu’un blog de voyage ! Tous vos articles sur la culture Maori sont très émouvants. Je découvre votre blog par l’intermédiaire de Lydia de Nowmadz qui m’a dit que cela me plairait… Elle ne s’est pas trompée 🙂

    • Merci Gabrielle pour ton commentaire, il nous fait vraiment chaud au coeur !
      On essaie au maximum de mêler nos passions de l’histoire, de la socio à celle du voyage donc on est ravi que ça transparaisse. 😀

      Au plaisir d’échanger avec toi sur ce thème ou sur d’autres !

      Bonne journée !

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