Personnages en F : analyse des figures de BD incontournables

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Plus de 60 % des albums les plus vendus chaque année comportent un héros dont le nom de code, le surnom ou le titre commence par une lettre précise. Cette tendance, loin d’être aléatoire, répond à des logiques éditoriales et à la mémoire collective du lectorat.

Certains personnages créés avant 1950 continuent d’influencer les scénaristes contemporains, alors même que leur univers d’origine a disparu. La reconnaissance de figures majeures ne relève donc pas seulement d’un succès commercial, mais d’une transmission de codes, de valeurs et de mythologies propres au 9e art.

Qu’est-ce qui fait vibrer le lecteur devant un personnage de bande dessinée ? La réponse ne tient pas à la simple accumulation d’exploits, ni à la somme de ses failles. Tout l’intérêt réside dans la façon dont ce héros, ou cette héroïne, s’inscrit dans un univers cohérent, tissé de liens avec d’autres figures : alliés, adversaires, compagnons fidèles. Astérix, par exemple, ne prend toute sa dimension qu’au contact d’Obélix, de la bande du village, entre solidarité, chamailleries et rivalités. Tintin, de son côté, n’a pas la même densité sans Milou, le capitaine Haddock ou Tournesol. Ce réseau de relations donne corps à une existence imaginaire, qui vient chatouiller le réel du lecteur.

Les héros de bande dessinée se font le reflet de valeurs qui traversent les générations : courage, amitié, loyauté, mais aussi doute ou autodérision. Lucky Luke sillonne l’Ouest en compagnie de Jolly Jumper et du malchanceux Rantanplan, affrontant les Dalton dans un ballet sans fin. Les Schtroumpfs, sous la houlette du Grand Schtroumpf, conjuguent ingéniosité collective et espièglerie pour résister à Gargamel et Azraël. À chaque fois, la richesse de l’histoire tient autant à la singularité du personnage principal qu’à la diversité de ses acolytes et de ses opposants.

L’humour irrigue chaque page, du flegme décalé de Gaston Lagaffe à la philosophie lunaire de Snoopy. Cette façon de faire rire tout en racontant le monde inscrit la bande dessinée dans la culture populaire. Le public s’attache à la profondeur de ces liens, à la complexité des sentiments, et à cette capacité, rare, de traverser les époques sans rien perdre de leur mordant.

Parcourons quelques-unes des figures qui ont marqué la bande dessinée franco-belge, de Tintin à Spirou.

Astérix, fruit de la complicité entre René Goscinny et Albert Uderzo, s’est imposé avec trente-sept albums et une galerie inoubliable de personnages secondaires : Panoramix, Abraracourcix, les légionnaires romains. À ses côtés, Tintin, incarnation du reporter globe-trotter selon Hergé (Georges Remi), traverse vingt-quatre albums, des sables du désert aux neiges du Tibet, entouré de Milou, Haddock, Tournesol, et d’énigmes qui font voyager à travers tout le XXe siècle.

Dans le registre du western, Lucky Luke, imaginé par Morris, s’affirme comme le cow-boy solitaire par excellence. Jolly Jumper, Rantanplan, les frères Dalton sont autant de contrepoints qui rendent l’univers inimitable. Les Schtroumpfs, mis en scène par Peyo, forment une véritable petite société, où chaque personnage, du Schtroumpf à lunettes au Schtroumpf grognon, ajoute sa propre note à l’harmonie du village bleu, face à Gargamel et Azraël.

Spirou, quant à lui, a trouvé une seconde jeunesse grâce à la reprise de Tome et Janry, après une succession d’auteurs qui ont chacun façonné le personnage. De groom à justicier, il incarne un esprit d’aventure et d’altruisme qui traverse les décennies et s’adapte aux nouveaux enjeux.

Au fil de ces exemples, on mesure la diversité des styles graphiques, la richesse des collaborations scénariste-dessinateur, et cette faculté du 9e art à se réinventer sans cesse, sans jamais sacrifier la force de ses figures fondatrices.

Mais qui sont ces auteurs qui ont donné leurs lettres de noblesse à la bande dessinée ? Regard sur ces bâtisseurs d’univers et sur les influences qui irriguent la création contemporaine.

René Goscinny et Albert Uderzo, architectes d’Astérix, ont trouvé la recette d’un humour à la fois populaire et fin, truffé de références en clin d’œil à l’histoire et au quotidien. Hergé, maître de la “ligne claire”, impose avec Tintin une rigueur narrative et graphique qui fait école bien au-delà de la francophonie.

La force du 9e art, c’est aussi la dynamique à deux têtes : scénaristes et dessinateurs conjuguent leur talent pour donner naissance à des univers entiers. Morris dessine Lucky Luke et passe la main à Goscinny pour le scénario, aboutissant à des albums qui font date. Peyo, avec les Schtroumpfs, invente un langage, une vie en communauté, tout en glissant une satire douce de la société.

La BD ne s’arrête pas aux frontières de la France et de la Belgique. D’autres pays voient éclore des créateurs au style singulier. Franquin (Gaston Lagaffe), Gotlib (Les Dingodossiers), Claire Bretécher (Les Frustrés) ont chacun bousculé les codes, que ce soit par l’humour absurde ou la chronique sociale. Parmi les héritiers de cette tradition, Lewis Trondheim, Riad Sattouf ou Marjane Satrapi explorent des terrains nouveaux : autofiction, satire, récit d’apprentissage ou science-fiction, à chaque fois avec une empreinte forte.

Auteur Œuvre emblématique Apport majeur
Hergé Tintin Ligne claire, narration moderne
Goscinny & Uderzo Astérix Humour, culture populaire
Franquin Gaston Lagaffe Absurdie, rythme du gag
Peyo Les Schtroumpfs Univers collectif, langage inventé

À travers ces signatures, la bande dessinée s’affirme comme un laboratoire d’idées et une composante majeure de la culture d’aujourd’hui.

Envie de découvrir de nouveaux héros ? Quelques pépites méconnues à explorer

Pour qui cherche des aventures hors des sentiers battus, plusieurs créations récentes valent le détour. Blacksad, polar animalier né de la collaboration entre Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido, séduit immédiatement par la richesse de son dessin et l’intensité de son intrigue. Le détective-chat, plongé dans une Amérique crépusculaire, montre à quel point la BD sait déjouer les codes et mêler roman noir et fable sociale.

Autre univers, autre ton : Donjon, saga inventée par Lewis Trondheim et Joann Sfar, revisite l’heroic fantasy à la sauce parodique. Ici, les personnages secondaires pullulent, chaque créature apporte son grain de folie, et le récit multiplie les références à la pop culture tout en interrogeant le pouvoir, le destin, la filiation.

Dans un registre plus poétique, Musnet de Kickliy suit les pas d’une souris peintre, hommage discret à l’histoire de l’art et à la passion créatrice. Ariol, imaginé par Emmanuel Guibert et Marc Boutavant, capte quant à lui les petites joies et les grandes peurs d’un jeune âne écolier, avec une tendresse qui sonne juste et une satire douce sur la société française.

La diversité s’affiche aussi à travers des récits venus d’ailleurs. Aya de Yopougon, signée Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, donne à voir le quotidien de la jeunesse ivoirienne, dans toute sa vitalité, ses espoirs, ses contradictions. Persepolis, de Marjane Satrapi, retrace le parcours d’une jeune fille en Iran, entre histoire familiale et bouleversements politiques.

Voici quelques titres qui méritent une attention particulière pour explorer la richesse actuelle de la bande dessinée :

  • Légendes de la Garde de David Petersen : une épopée animalière où l’honneur et la solidarité se déploient dans un cadre médiéval soigné.
  • Tank Girl (Alan Martin, Jamie Hewlett) : héroïne déjantée, au style punk, qui bouscule les règles aussi bien graphiques que narratives.

Ces albums, parfois éloignés des séries les plus connues, témoignent de la vitalité et du foisonnement des imaginaires dans la création graphique contemporaine. La bande dessinée continue de surprendre, d’émouvoir, et surtout d’inventer de nouveaux mondes à chaque coin de case. Qui sait quel personnage, demain, ajoutera sa silhouette à cette galerie fascinante ?